Rollin, prince de nos nuits : éloge d’un franc-tireur
Source : http://lesfilmsabc.free.fr/jeanRollin.Cin%E9aste-%E9crivain/hommagejrparjannhalexander.html
Remerciements chaleureux à Véronique D.Travers pour la publication de ce texte sur le site des films ABC.
C’était un homme trapu, look français moyen, vieux avant même d’avoir été jeune. Un air assez bougon, faussement bougon, faussement blasé. Il avait une voix impossible à oublier, un peu pincée, et claire. Sa diction était limpide. Peu importe si le doute l’avait effleuré un jour ou l’autre, cela ne se sentait pas quand il parlait de son œuvre. Parce que c’est bien le mot qu’il faut employer pour qualifier le travail de Jean Rollin : une œuvre. De franc-tireur. Franc-tireur du cinéma français et tant qu’à faire un des rares franc-tireurs du cinéma mondial en général. Qu’on n’aille point croire que je souhaite diviser le monde du cinéma entre les hors-système et les pro-systèmes, entre les indépendants et les majors, entre les auteurs et les faiseurs, entre les amateurs et les professionnels. Je ne crois pas du tout à ces qualificatifs, je veux dire par là qu’un créateur peut être tout cela à la fois : faiseur, amateur, professionnel, indépendant, vendu…mais au fond, qu’est-ce qu’on s’en fout, ce qui compte c’est l’œuvre.
Le créateur meurt, et l’œuvre lui survit quelques temps, de façon plus efficace que n’importe quel acte notarié de propriété. Je cite souvent par provocation Walt Disney, qui fut un génie de la création, de la communication et de l’innovation. L’existence du dessin animé, du film d’animation nous semble acquise. Dans les années 30 pourtant, l’idée que des gens puissent se déplacer pour voir un long-métrage animé dans un cinéma était incongru, inconcevable, en dehors de Disney, personne n’y croyait et les financiers lui recommandaient sagement de s’en tenir aux courts animés précédents les films avec des êtres humains, c’est tellement plus sûr… et plus sérieux.
Mais depuis quand un artiste est tenu d’être sérieux ? Quand Rollin a débarqué en plein 68 avec un film de vampires, les critiques français ne comprirent pas, ne voulaient pas comprendre…ne pouvaient pas comprendre…cartésiens qu’ils étaient, ils avaient refusé cette idée que le cinéma peut être aussi poésie folle, onirisme pur, contemplation, transcendance absolue, état d’être. Poésie personnelle, sans pour autant être hermétique. Impossible d’oublier ces coins de province filmés avec amour par Rollin : les champs, les routes de campagnes, les vieilles ruines, les cimetières quasi abandonnés, les voies ferrées désaffectées. Mais aussi les bords de mer, les nuits froides envahissant des centre-villes ultra-modernes et encore et toujours cette sensualité si française émanant des femmes qui peuplent ses pellicules. Quelque chose de so french, comme disent les américains, pour qui Rollin est une évidence, pour qui ses films font pleinement partie du patrimoine français. Insider là-bas, outsider dans l’hexagone, ce fut à la fois son fardeau et sa liberté, puisqu’il a pu se permettre certaines choses, surtout de rester l’un des rares représentants du fantastique français durant des décennies.
Mad Movies et autres magazines n’auront retenu que si peu de choses des films de Jean Rollin : des femmes nues, des vampires dans des films à petit budget. Etant-moi-même amateur des films ayant pour thème les vampires, certes, j’ai été servi, notamment par la Fiancée de Dracula, un must. Mais c’était un film puissant sur le lien amoureux, le temps qui passe, la mort et cela, de façon moins allégorique qu’on ne pourrait s’y attendre. Par la dimension des dialogues, j’ai songé au Médée de Pasolini. Il y avait de l’âpreté, de l’implacable, une sublime austérité. La Fiancée de Dracula avait une prétention philosophique, et attention, ce n’était pas de la philosophie de pacotille. Enfin, il y avait cet étrange parfum de réel, de possible dans ce film, presque cette sensation que l’histoire filmée était véridique. J.R y croyait, lui. Alors on y croyait !
Parfois, lorsque je suis sur la route, que j’observe défiler les paysages de la campagne française sous mes yeux, j’ai dans un petit coin de ma mémoire des séquences rolliniennes. Le 7 février 2013, à la Nouvelle Sorbonne, je rappelais, en compagnie de Sébastien Roffat, spécialiste du cinéma d’animation et de Gildas Jaffrennou, script doctor, à des étudiants de première année de cinéma dans le cadre d’une conférence, ce que disait Jean Rollin à ceux et celles qui voulaient devenir réalisateurs : filmez, filmez tout, filmez n’importe quoi mais filmez.
Et c’est vrai, peu importe les moyens, le cinéma appartient à tout le monde et en ce sens, le cinéma est donc un vaste monde, avec de multiples angles, formes, c’est ce qui fait sa beauté, son intérêt. Sans Jean Rollin, le parcours qu’il avait, je n’aurais certainement pas eu la force d’achever La Bête Immonde. J’avais eu le réalisateur au téléphone, il était question de se voir, peut-être même de tourner ensemble, il était très gentil, pas aimable, j’insiste, il y avait de la gentillesse dans sa voix…et malheureusement les circonstances ont fait que…il nous a quitté…un peu trop vite…pour rejoindre à jamais un monde de rêves éternel, où je l’espère, il est à pleinement à son aise…
Jann Halexander, chanteur, réalisateur, comédien
Dernier film en date, LA BETE IMMONDE (dédié à Jean Rollin)
http://www.apoplexia2008.blogspot.fr – http://labeteimmonde.blogspot.fr