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Neiges du Brésil
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8 août 2013

Rollin, prince de nos nuits : éloge d’un franc-tireur

Source : http://lesfilmsabc.free.fr/jeanRollin.Cin%E9aste-%E9crivain/hommagejrparjannhalexander.html

Remerciements chaleureux à Véronique D.Travers pour la publication de ce texte sur le site des films ABC.

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Occident

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C’était un homme trapu, look français moyen, vieux avant même d’avoir été jeune. Un air assez bougon, faussement bougon, faussement blasé. Il avait une voix impossible à oublier, un peu pincée, et claire. Sa diction était limpide. Peu importe si le doute l’avait effleuré un jour ou l’autre, cela ne se sentait pas quand il parlait de son œuvre. Parce que c’est bien le mot qu’il faut employer pour qualifier le travail de Jean Rollin : une œuvre. De franc-tireur. Franc-tireur du cinéma français et tant qu’à faire un des rares franc-tireurs du cinéma mondial en général. Qu’on n’aille point croire que je souhaite diviser le monde du cinéma entre les hors-système et les pro-systèmes, entre les indépendants et les majors, entre les auteurs et les faiseurs, entre les amateurs et les professionnels. Je ne crois pas du tout à ces qualificatifs, je veux dire par là qu’un créateur peut être tout cela à la fois : faiseur, amateur, professionnel, indépendant, vendu…mais au fond, qu’est-ce qu’on s’en fout, ce qui compte c’est l’œuvre.

Le créateur meurt, et l’œuvre lui survit quelques temps, de façon plus efficace que n’importe quel acte notarié de propriété. Je cite souvent par provocation Walt Disney, qui fut un génie de la création, de la communication et de l’innovation. L’existence du dessin animé, du film d’animation nous semble acquise. Dans les années 30 pourtant, l’idée que des gens puissent se déplacer pour voir un long-métrage animé dans un cinéma était incongru, inconcevable, en dehors de Disney, personne n’y croyait et les financiers lui recommandaient sagement de s’en tenir aux courts animés précédents les films avec des êtres humains, c’est tellement plus sûr… et plus sérieux.

 

Mais depuis quand un artiste est tenu d’être sérieux ? Quand Rollin a débarqué en plein 68 avec un film de vampires, les critiques français ne comprirent pas, ne voulaient pas comprendre…ne pouvaient pas comprendre…cartésiens qu’ils étaient, ils avaient refusé cette idée que le cinéma peut être aussi poésie folle, onirisme pur, contemplation, transcendance absolue, état d’être. Poésie personnelle, sans pour autant être hermétique. Impossible d’oublier ces coins de province filmés avec amour par Rollin : les champs, les routes de campagnes, les vieilles ruines, les cimetières quasi abandonnés, les voies ferrées désaffectées. Mais aussi les bords de mer, les nuits froides envahissant des centre-villes ultra-modernes et encore et toujours cette sensualité si française émanant des femmes qui peuplent ses pellicules. Quelque chose de so french, comme disent les américains, pour qui Rollin est une évidence, pour qui ses films font pleinement partie du patrimoine français. Insider là-bas, outsider dans l’hexagone, ce fut à la fois son fardeau et sa liberté, puisqu’il a pu se permettre certaines choses, surtout de rester l’un des rares représentants du fantastique français durant des décennies.

Mad Movies et autres magazines n’auront retenu que si peu de choses des films de Jean Rollin : des femmes nues, des vampires dans des films à petit budget. Etant-moi-même amateur des films ayant pour thème les vampires, certes, j’ai été servi, notamment par la Fiancée de Dracula, un must. Mais c’était un film puissant sur le lien amoureux, le temps qui passe, la mort et cela, de façon moins allégorique qu’on ne pourrait s’y attendre. Par la dimension des dialogues, j’ai songé au Médée de Pasolini. Il y avait de l’âpreté, de l’implacable, une sublime austérité. La Fiancée de Dracula avait une prétention philosophique, et attention, ce n’était pas de la philosophie de pacotille. Enfin, il y avait cet étrange parfum de réel, de possible dans ce film, presque cette sensation que l’histoire filmée était véridique. J.R y croyait, lui. Alors on y croyait !

Parfois, lorsque je suis sur la route, que j’observe défiler les paysages de la campagne française sous mes yeux, j’ai dans un petit coin de ma mémoire des séquences rolliniennes. Le 7 février 2013, à la Nouvelle Sorbonne, je rappelais, en compagnie de Sébastien Roffat, spécialiste du cinéma d’animation et de Gildas Jaffrennou, script doctor, à des étudiants de première année de cinéma dans le cadre d’une conférence, ce que disait Jean Rollin  à ceux et celles qui voulaient devenir réalisateurs : filmez, filmez tout, filmez n’importe quoi mais filmez.

Et c’est vrai, peu importe les moyens, le cinéma appartient à tout le monde et en ce sens, le cinéma est donc un vaste monde, avec de multiples angles, formes, c’est ce qui fait sa beauté, son intérêt. Sans Jean Rollin, le parcours qu’il avait, je n’aurais certainement pas eu la force d’achever La Bête Immonde. J’avais eu le réalisateur au téléphone, il était question de se voir, peut-être même de tourner ensemble, il était très gentil, pas aimable, j’insiste, il y avait de la gentillesse dans sa voix…et malheureusement les circonstances ont fait que…il nous a quitté…un peu trop vite…pour rejoindre à jamais un monde de rêves éternel, où je l’espère, il est à pleinement à son aise…

Jann Halexander, chanteur, réalisateur, comédien

Dernier film en date, LA BETE IMMONDE (dédié à Jean Rollin)

http://www.apoplexia2008.blogspot.frhttp://labeteimmonde.blogspot.fr

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Commentaires
N
...Il s'agit de la version réactualisée, rehaussée d'un article publié sur jannhalexander.allmyblog.com : Jean Rollin ou la folie créatrice.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> ...Rongé par un certain ennui, ou de lassitude désespérée, je ne sais pas, la nuit du jeudi 16 décembre, j'étais dans un sauna à Cologne...couloirs vides. Un gros allemand puant la bière au comptoir. Des fausses plantes dans le salon de l'étage. J'étais venu surtout pour la salle de relaxation, un espace clair envahi de végétation tempérée et tropicale parsemé de transats, où planait une douce musique (d'ambiance ou de musique classique) pour apaiser les esprits. Après m'y être endormi deux bonnes heures, j'ai traîné dans l'espace internet jouxtant la terrasse. Sans enthousiasme me suis connecté à ma page facebook. J'apprends la nouvelle, par l'écrivain Pascal Français, un compère des chemins de la création 'marginale' : le réalisateur français Jean Rollin est décédé.<br /> <br /> <br /> <br /> L'essence même du fantastique est d'être improbable, irréaliste, nonsensique, illogique. En un mot de pratiquer la véritable liberté, qui est poésie folle, disait Jean Rollin...<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne pouvais que l'approuver. Réalisateur à la filmographie imposante, riche mêlant sensualité et fantasmagorie, je ne peux réduire Jean Rollin à un simple accumulateur de nanars. Il est un certain idéal du cinéma pour moi. Un talent pour réaliser une oeuvre poétique avec rien. Un talent pour souder une équipe. Car à travers ses films il y a la convivialité du tournage, expérience collective. Ce n'est pas l'argent je crois qui a fait ce que le cinéma français est actuellement. Cinéma français ou cinéma mondial. Je me dis que même avec 3 francs 6 sous Peter Jackson aurait réussi une adaptation du Seigneur des Anneaux. La foi dans ce que l'on fait peut nous faire accomplir des 'miracles'!<br /> <br /> <br /> <br /> La morosité du cinéma français, qui n'est pas un mystère, ce n'est pas l'argent en lui-même qui l'explique. Mais plutôt un ensemble de clans aux règles officielles/officieuses faisant régner l'arbitraire maquillé sous la convenance, convenance artistique, convenance du bon goût, et tout cela avec la complaisance d'un CNC certes essentiel mais qui a fini au fil des décennies à faire une OPA sur l'expression visuelle. Encore maintenant de jeunes petits cons et petites connes sortis d'une formation perdent des années de leur vie à pondre un projet en espérant la fameux soutien du CNC. Qui en général n'arrivera jamais. J'en ai rencontré de ces individus. Grandes idées, peu d'actions. Tournons, bon sang : tournons n'importe quoi avec n'importe quoi, n'importe qui, mais tournons, pour nous, pour le grand écran, le petit écran ! Ne cédons pas la place aux techniciens du cinéma. Tournons pour rêver! Tournons pour rappeler que toutes les formes d'expressions visuelles ont leur place, aussi bien Ozon que Rollin que Breillat. Et que non, le cinéma d'auteur ou le cinéma indé ne saurait être réduit au réseau MK2!<br /> <br /> <br /> <br /> Le parcours de l'homme Jean Rollin c'est le parcours d'un homme de partage qui a su maintenir la flamme de la création. Aurait pu basculer dans l'aigreur de long terme et bien non, ne s'y est pas plié. Son cas et son décès rappelle aussi que sans public nous ne sommes rien. Ce sont les gens qui font aussi notre destinée. Mad Movie ne pouvait absolument pas comprendre le phénomène Rollin. Tout comme je dus affronter des collègues de Patrice Chéreau ou de untel ou untel siégeant au CNC qui ne comprenait pas, n'admettait pas, ne supportait pas que je puisse faire des films avec rien qui se vendent à des petits milliers d'exemplaires. Ils avaient tout, je n'avais rien et pourtant ils se braquaient comme si j'étais une menace pour eux. Telle revue peut consacrer 15 pages à M. Rollin, c'est un peu tard, va. Tard pour nous, et tard pour le ou la journaliste ou le soi disant cinéphile qui avant aura prétendu que le réalisateur ne savait pas éclairer ou régler le point. Pour le provincial que je suis, la fuite sans but des deux jeunes femmes protagonistes dans Requiem pour un Vampire le long d'une route de campagne a quelque chose d'obsédant. Comment parvenait-il à rendre un ciel bleu moutonné de nuages-moutons menaçant, annonçant quelque chose de glauque. Quelles ficelles avait-il ? L'onirisme dans l'Hexagone c'est lui. De l'onirisme sans apprêt, sans sophistication, ce n'est pas Inception mais c'est mieux.<br /> <br /> <br /> <br /> Jean Rollin...ses films passaient à des heures tardives sur la chaîne nationale gabonaise au début des années 90...je ne comprenais rien mais j'étais fasciné...mais le redécouvris à 26 ans. Lus avec enthousiasme l'ouvrage que l'écrivain Pascal Françaix lui avait consacré. J.R est parti pour l'ailleurs et pour toujours. Il fait partie de ces phares dans ma nuit, à l'instar de la chanteuse Anne Sylvestre, de l'exploratrice charmeuse de serpents Nicole Viloteau, la comédienne Maïk Darah et j'en oublie d'autres. Des personnalités libres, étranges électrons qui ont leurs secrets. Plus on en apprend, moins on sait et plus on veut savoir...ils ne livrent pas leurs clés...nous ne livrons pas nos clés. Non pas par méchanceté. Car l'Autre, Vous, nous le voulons, nous souhaitons établir la passerelle. Mais nous n'y arrivons pas. Ce n'est pas faute d'avoir essayé...notre vérité intérieure est-elle seulement accessible ?<br /> <br /> <br /> <br /> J.R est mort et en tant que vidéaste indépendant, je me sens plus seul que jamais en France. Rémi Lange a jeté l'éponge, semble t-il. Ne me reste que ma folie créatrice. J'ai failli rencontrer Jean Rollin l'an dernier. Je l'eus au téléphone. Homme charmant, à l'esprit curieux, semblait-il, je lui parlé de mes deux derniers films, dont Occident, qui semblait l'intéresser et de mon projet de l'époque, une sorte de thriller dans une forêt...nous avions convenu d'une date. Hélas - et tant mieux aussi- le tournage de son dernier film l'accaparait, nous repoussâmes le rendez-vous. Il n'y aura pas de rendez-vous, du moins pas dans le monde des vivants.<br /> <br /> <br /> <br /> Si dans la vie je me dis qu'il ne faut pas avoir de regret, je ne peux cependant pas empêcher une certaine amertume de m'empoisonner, du fait d'être passé à côté...
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